AFFICHEBlancaMolina

« La beauté du soldat éthiopien est aussi grande que l’est le désespoir de sa situation de vie… La beauté de ces femmes voilées est aussi grande que ce que révèlent ou cachent ces voiles… 

La beauté de cette vieille femme prostrée est aussi grande que l’est son probable dénuement… La beauté des scènes bibliques peintes tant de fois… La beauté de ces vieux vêtements est aussi grande que l’est la mémoire qu’ils gardent des corps morts qui les ont portés… La beauté est partout même quand on n’adhère pas à sa réalité. Cette beauté-là, la beauté d’une réalité insoutenable me remue bien plus qu’une beauté sereine. La peinture ouvre les yeux sur le monde… Un tableau doit se suffire à lui-même… C’est un œil qui explore le monde…

Cette situation de maladie chronique de la société est tellement bien décrite par tous ces photographes qui cherchent eux aussi l’esthétique du terrible sans pour autant s’en réjouir. 

On peint parce que c’est un acte de jouissance, ce qui ne veut pas dire que ce soit seulement cela… Je peins parce que cela me plaît. Faut-il donner un sens à ce plaisir ? Finir un tableau que je considère comme étant réussi est pour moi jubilatoire. »

À la question « Quelle est ta démarche ? » Blanca n’a pas de réponse précise.

« Je suis – avant tout – une femme qui peint. J’ai des émotions devant la peinture des autres, devant la musique, devant la littérature, le théâtre, le cinéma. Toutes les formes de l’expression humaine sont capables de m’émouvoir. Je m’émeus devant tous ces portraits qui défilent chaque chaque jour devant mes yeux et qui demeurent comme encadrés ; ils me donnent envie de les peindre. J’aime travailler par séries autour de thèmes. Une image m’en suggère une autre puis une autre, puis une autre encore… Impossible de peindre tout ce que je voudrais dire. La toile en train de se faire vient autopsier chaque vision qui m’interpelle… Cette fameuse humaine condition… Toutes ces choses qui font référence à des événements tragiques et qui révèlent fortement la grande solitude de l’humain me font signe. Difficile d’imaginer que peindre un paysage dévasté ou des personnages abandonnés soit jubilatoire… Je n’ai pas d’explication à ce sujet, les sens de l’esthétique et de la beauté restent très personnels.

J’aime travailler par séries autour de thèmes. Une image m’en suggère une autre puis une autre, puis une autre encore… 

Impossible de peindre tout ce que je voudrais dire. La toile en train de se faire vient autopsier chaque vision qui m’interpelle… Cette fameuse humaine condition… Toutes ces choses qui font référence à des événements tragiques et qui révèlent fortement la grande solitude de l’humain me font signe. Difficile d’imaginer que peindre un paysage dévasté ou des personnages abandonnés soit jubilatoire… Je n’ai pas d’explication à ce sujet, les sens de l’esthétique et de la beauté restent très personnels. »

BLANCA

… Un petit village aux maisons toutes blanches, aux portes toutes rondes, d’un bois épais cousu de clous rouillés, grisé par le temps et le soleil.

Mes parents étaient les jeunes instituteurs du lieu. Premier poste pour ce couple Basco-Castillan dans cette région (Maestrazgo), où 90% de la population est analphabète et de langue catalane. C’est là que je suis née, à San Jorge, en avril 1944, en plein aprèsguerre, quatrième d’une fratrie de six. Nos instituteurs : mon père pour les garçons, ma mère pour les filles.

Dios – Patria – Franco, les chefs du pays tout entier.

Franco, l’immaculée Conception et le Christ sur la croix présidaient les deux classes de l’école, accrochés tous les trois au-dessus des tableaux noirs, peints sur le mur, qui furent mes premières toiles ; assez grands pour me permettre de réaliser des paysages africains, aux craies de couleur, où des « sauvages » noirs faisaient cuire des missionnaires, coiffés du chapeau colonial, dans de grandes marmites. Enfin, j’étais une enfant qui aimait dessiner…

Mon enfance, bercée de récits sur la guerre à peine finie, et tant d’autres secrets, est restée là, dans ce petit village blanc laissé par les maures.

Sillonnant les rues, des femmes et encore des femmes, entièrement vêtues de noir, dans un deuil installé à perpétuité, contraste saisissant avec la chaux blanc bleuté des façades… L’on pouvait voir la mer du haut des terrasses, une mer comme un rêve, si loin et si près, ce grand trait bleu le jour, plein de lumières la nuit. J’avais 13 ans quand mes parents et nous tous sommes partis à Valencia, grande ville. Ce fut le grand saut, de l’enfance au tumulte. Dans le collège religieux que j’ai fréquenté jusqu’au bac, je faisais les décors du théâtre, des dessins des élèves, de la guitare… Enfin, j’étais une enfant qui aimait tout cela plus que tout le reste… Je ne savais pas que dans ce même quartier, à deux pas de mon collège, se trouvait l’Académie des Beaux Arts, San Carlos. Je ne savais pas non plus ce que c’était jusqu’au jour où un jeune garçon en Vespa a failli me renverser avec son grand carton à dessin. Pour se faire pardonner, il m’a fait visiter cette drôle d’école située dans un somptueux monastère. Là, j’ai su que c’était cela que je voulais faire et en septembre, j’ai commencé à être une élève éblouie par cette dé- couverte. Tout au long de ces cinq années, j’ai découvert non seulement le travail artistique, mais surtout j’ai su que je pouvais penser, réfléchir. Dans ces années-là, le contexte chez nous était la dictature franquiste, avec toutes les répressions que l’on connaît ; ailleurs c’était la révolution cubaine, la Chine de Mao, la Russie etc. Et un peu plus tard la mort du Che, mai 68… C’est dans cette école que j’ai pris connaissance du social et de son importance. Sont nées dans cette école les équipes Crónica y Realidad, une peinture montrant toutes les ruptures… Realidad m’a beaucoup influencée et surtout beaucoup appris quant au sens donné à la peinture ou à l’art en général.

Mon intérêt principal était toujours et encore la condition humaine.

Fin 68, je suis venue en France où je suis encore. Un mari français, une fille d’abord, la campagne, l’apprentissage de la langue, l’Algérie, première rencontre avec l’Afrique, le retour, une autre fille ; la peinture se met en place petit à petit. Quelques expos, Toulouse, Castelnaudary, Carcassonne, etc. Des voyages en Afrique, le désert, l’Afrique noire ; et toujours un contact très important avec la nature, les animaux, le jardin… Toutes ces choseslà qui nourrissent la vie, et les enfants, deux et cinq maintenant. Une longue halte quant aux expos, halte que je croyais définitive jusqu’aux essarts…

Lucile est venue me chercher… Blanca, il faut sortir tout ça ! Et me voilà.